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Extrait de "1944 Carnet de Vie" 1/2

Mon premier roman, intitulé "1944 Carnet de Vie" est paru en 2009 (Editions du Lau)

Il s'agit des aventures de mon grand-père ayant vécu l'occupation et la libération dans le Sud de la France.

Un ouvrage frais et vivant, dont voici un petit extrait !

Je vous avais présenté, dans un précédent billet, le résumé du livre, et dans un autre sa genèse...

Format du livre : 13x20cm Nombre de pages : 330 ISBN : 2-84750-239-4 EAN : 9782847502398

Le roman existe en version papier... et au format Kindle.

L'extrait

Chapitre 1

La poussière. Que de poussière.

Je n’arrive plus à respirer. Je suis couché sur la terre. Ma charrue est à côté de moi, renversée.

Est-ce que je suis blessé ? Il est passé si près !

J’ai cru qu’il allait me tomber dessus, m’écraser. Son ombre était immense.

J’ai juste eu le temps de le voir arriver. Un Amiot, je suis sûr que c’est un Amiot, un bimoteur !

Il avait les moteurs coupés. Il devait certainement être en panne. Heureusement que j’ai entendu le sifflement des hélices et l’un des pilotes, monté sur l’aile, qui me criait de me pousser.

D’ailleurs, où est-il ? Il est tombé juste après que l’avion ait violemment percuté le sol.

Je suis indemne. J’ai de la chance de ne pas avoir été mitraillé par la volée de pierres qui a déchiré la poussière.

Le souffle court, je me lève et regarde à travers l’épais brouillard poussiéreux dégagé par la chute de l’avion.

Le nuage en suspension se dissipe un peu, je commence à y voir plus clair.

Tout redevient calme.

- Il y a quelqu’un ? La terre colle à ma peau, rendue moite par les fortes chaleurs provençales du mois d’août, et surtout par la peur que je viens d’avoir.

Je me trouve dans le profond sillage tracé par la lourde carlingue, qui a arrêté sa course cent mètres plus loin. Il n’y a plus rien. Les oliviers, les pêchers et les plants de tomates que je sarclais ont tous été fauchés et arrachés au passage de l’avion.

La silhouette d’un homme se détache maintenant à travers le rideau de poussière en suspension. Il titube, se tenant le bras.

Je le reconnais !

C’est l’homme qui était juché sur l’aile droite de l’avion, il s’en est tiré. Lui aussi me cherche. Je suis tétanisé. Mes muscles ne me répondent plus, je ne bouge pas, je ne l’appelle pas, j’attends seulement qu’il me voie. Enfin, il m’aperçoit et vient à ma rencontre.

- Hé, garçon ! Ça va ? Je t’ai vu d’en haut. Je t’ai fait de grands signes pour que tu te pousses.

- Oui, je vous ai vu. Au dernier moment. J’ai juste eu le temps de me détacher de la charrue et de sauter sur le côté...

L’homme s’approche. C’est un pilote français.

- Nous venions de Corse, me dit-il, et il y a eu une panne de moteur. On a été forcés de se poser en catastrophe ici.

L’appareil s’est effectivement écrasé dans le champ, là où je travaillais, tout près du village de Cavalière. La poussière s’est enfin dissipée.

Le reste de l’équipage arrive en courant, à la recherche de leur compagnon. Je regarde leurs visages. Visiblement, ils ne pensaient pas le trouver en ma compagnie, sains et saufs tous les deux. Ils discutent et cherchent des explications sur les causes de la panne de moteur, et sur les circonstances de l’atterrissage forcé qu’ils viennent de réaliser.

Monsieur Moscon, le propriétaire du champ, ainsi que quelques paysans ayant vu se dérouler de loin la scène, arrivent, à présent.

Occupés à travailler à l’autre bout du terrain, ils avaient été autant surpris que moi lors de l’arrivée subite de l’avion.

- Alors petit, me lance-t-il, tu as réussi à l’éviter ? On te croyait mort, vu de là-bas tu as complètement disparu !

Encore hébété, les yeux irrités par la poussière, je bredouille quelques mots.

- J’ai réussi à rapidement me détacher et à sauter juste avant la chute de l’avion. La chance m’a souri, voilà tout.

Dans le ciel, le bruit de deux nouveaux avions se fait entendre. Les pilotes lèvent la tête, et l’un d’eux nous indique qu’il va les prévenir par radio qu’il n’y a pas eu de blessure grave, seulement quelques contusions. Après s’être rapproché de la carcasse et avoir passé son message radio, le pilote revient vers nous.

- J’ai passé mon message, dit-il. Un groupe de mécaniciens va venir. Ils démonteront l’Amiot pour le transporter dans un hangar, le réparer et le remonter afin de le remettre en service.

Moi, j’ai mon compte pour la journée. Heureusement, monsieur Moscon me donne l’autorisation de rentrer à la maison...

Sur le chemin du retour, je rencontre ma mère, qui a été alertée de l’accident. Elle aussi m’a cru mort, elle n’en revient pas de me retrouver sain et sauf.

C’est seulement maintenant que je mesure à quel point j’ai été chanceux.

Je ne sais pas pourquoi cette scène me revient à l’esprit, maintenant.

Peut-être parce que c’est arrivé la veille de la déclaration de la guerre, au tout début du mois de septembre 1939... et que ça a marqué, pour moi, le point de départ d’une période agitée.

Trop jeune pour partir à la guerre, j’étais resté travailler à la campagne.

Pour moi, rien de ma vie d’avant n’avait changé. Jusqu’à l’armistice. Jusqu’au sabordage de la flotte de Toulon, tout près de chez moi, en 42. Jusqu’à la subite arrivée de l’armée d’occupation italienne. Jusqu’à aujourd’hui, en novembre 1943.

Il fait nuit. La patrouille arrive. Pourquoi me suis-je fourré dans ce pétrin ?

Ça ne fait que cinq minutes que je suis là, et voilà qu’une patrouille arrive. Je ferme les yeux, j’arrête de respirer.

J’écoute.

La sueur coule sur mon visage, les battements affolés de mon cœur font tellement de vacarme qu’ils vont leur donner l’alarme, c’est sûr.

J’écoute le bruit du moteur de la voiture grandir. J’espère encore qu’elle va tourner, prendre une rue perpendiculaire. Mais non, elle vient par ici, elle se rapproche.

Il est donc vrai que lorsque l’on voit la mort de près ou quand on se trouve dans une situation difficile on revoit, ou revit, certaines scènes marquantes de son passé…

La voiture s’est arrêtée. Un soldat italien en descend et ouvre la grille, au pied du bâtiment dans lequel je me trouve. Ça fait bien trente secondes que mon ami m’a donné le signal d’alerte. Je reste figé. Pourquoi mes jambes ne bougent-elles pas ?

Ma vue se brouille. Je ne peux plus, encore moins que tout à l’heure, distinguer quoi que ce soit qui m’entoure. La grille d’entrée grince sur ses gonds. J’entends le moteur de la voiture tourner, au ralenti. C’est maintenant ou jamais, ils vont finir par nous découvrir.

J’entends toujours la musique jouée à l’intérieur du bâtiment, aux étages inférieurs. J’entends aussi des éclats de rire et des cris. Il me semble que le volume est plus fort que tout à l’heure, ou alors c’est parce qu’il n’y a plus aucun autre bruit autour de moi que celui-ci me paraît maintenant si fort. En tout cas, ils ont l’air de bien s’amuser, en bas.

Je me lance. Je sors la tête des combles du bâtiment. La clarté de la lune, accentuée par l’air frais et pur du mois de novembre, me rend subitement la vue. Je distingue le toit, les tuiles posées en vrac que j’ai retirées tout à l’heure, avant d’entrer. Je tourne la tête, lentement, essayant d’être le plus discret possible. Du coin de l’œil, je peux distinguer la voiture, dans laquelle s’installe un soldat italien. Les silhouettes de quelques gardes, arrivés pour refermer la grille, s’agitent deux étages plus bas dans la cour du château où vient de passer la voiture.

Ils ne vont pas aimer qu’on leur cambriole les réserves de leur bâtiment de commandement !

La musique est atténuée, je l’entends moins fort depuis que j’ai sorti la tête à l’extérieur. Depuis les premiers jours de leur arrivée ici, les Italiens font la fête presque chaque soir. Quelqu’un, je ne sais plus qui, nous avait dit que le grenier et d’autres petites dépendances étaient remplis de vivres. Je me souviens que c’est pour cette raison que nous nous sommes décidés à agir et tenter notre chance. Nous étions sûrs qu’ils n’entendraient pas quelqu’un s’introduire sous les combles des dépendances pour leur voler les réserves. Mais nous n’avions pas pensé qu’une patrouille puisse nous surprendre en rentrant dans la cour du bâtiment. L’air frais de la nuit me tire de mes pensées. Il faut sortir, et vite.

Pourvu qu’ils ne décident pas de contempler la lune, claire et belle ce soir. Ce qui leur permettrait de me voir, la tête dépassant du toit, sortant du grenier de leur quartier général. Placé exactement dans l’axe de la lune, ils ne pourraient pas me rater.

Un cri étouffé attire mon attention et stoppe mon observation. C’est mon copain qui s’impatiente.

- Lucien ! Qu’est-ce que tu fais ? Dépêche-toi, me souffle-t-il, ils sont en train d’arriver, ils vont nous prendre ! Pourquoi est-ce moi qui suis monté sur ce toit et entré dans les combles des dépendances ? Ah oui, je me souviens ! On avait décidé que c’était moi qui irais parce que je suis le plus grand et que je peux grimper plus facilement. Lui, monterait la garde. C’était ce que l’on avait prévu. Maintenant, je remettrais volontiers ce plan en question.

Je cours. Je remonte la ville. Mes poumons me brûlent, mais je continue.

Encore un effort.

J’arrive au pied des ruines inhabitées du château.

Je n’entends plus rien, mes oreilles bourdonnent depuis que le rythme de ma respiration s’est fait plus court. “Est-ce qu’ils sont toujours sur mes talons ? M’ont-ils suivis jusqu’ici ?”

Je me faufile entre les remparts effondrés des anciennes murailles. Je trouve un petit creux entre deux éboulis. Je m’y engouffre rapidement, haletant. Je jette mes sacs sur le côté, les cachant du mieux que je peux.

J’écoute, plaqué au fond de ma cache.

Le calme semble habiter les lieux. J’essaie de reprendre mon souffle. J’essuie mon front d’un revers de main. Il n’y a aucun bruit dehors. Je tends l’oreille pendant une minute ou deux. Rien, pas un bruit. Seulement le chant lancinant de quelques oiseaux nocturnes. Où sont les soldats ? Peut-être qu’ils sont postés à l’entrée de ma cache et espèrent que je sorte…

J’attends encore quelques minutes, recroquevillé dans l’ombre du recoin qui me sert d’abri.

Toujours aucun bruit. Ma respiration redevient normale. Peut-être qu’ils ont finalement arrêté de me poursuivre. J’espère qu’ils n’ont pas rattrapé mon ami.

Doucement, je me rapproche de mon butin pour en inspecter le contenu. Je défais la corde nouée autour du premier sac. Des couvertures. Au fond, je découvre sous les couvertures quelques paires de chaussures. Je m’empresse de vider le contenu devant moi, sur le sol terreux. Avec les chaussures et les couvertures, tombe un petit paquet de lacets de rechange. Après un rapide examen, je reconnais les chaussures, qui sont celles utilisées par les soldats italiens. Je ne pourrai pas les utiliser, je serais reconnu avant même d’avoir parcouru cent mètres devant l’un d’eux. Déçu, je me penche sur le second sac de toile que j’avais réussi à emmener avec moi. Le nœud qui le ferme s’est desserré pendant la course, et le lacet est tombé.

Une chance que je n’ai pas semé son contenu derrière moi. Les soldats n’auraient pas eu de peine à suivre ma trace. Je plonge la main. Des boîtes métalliques. J’en saisis une et la sort du sac. C’est une boîte de vivres. Une ration de pâtes. Fouillant de nouveau, je trouve d’autres boîtes contenant des pâtes, du sel et d’autres encore renfermant du riz. Je me dis que c’est tout de même mieux que les chaussures. Au moins on pourra en profiter, à la maison.

Tout bien pesé, ça ne valait pas le coup de cambrioler les stocks italiens dans le grenier même de leur quartier général. Manquer d’être pris et fait prisonnier pour trois paires de chaussures, quatre draps et un peu de nourriture est bien trop risqué. Si je me sors de ce mauvais pas sans encombre, je ne recommencerai plus ce genre de bêtise.

Il doit être tard, la lune commence déjà à redescendre du zénith. Il est temps de rentrer. Je range mon maigre butin dans les sacs et me prépare à sortir de ma cachette.

Je tends l’oreille à nouveau, guettant le moindre craquement de brindille ou le moindre son de botte sur le pavé pouvant dénoncer la présence d’un soldat italien patrouillant à proximité.

Le silence.

Les soldats n’ont pas dû réussir à me pister jusqu’ici et, ils ont certainement renoncé à m’attraper. La route doit être déserte.

À pas feutrés, je me glisse le long des murailles effondrées derrière lesquelles je m’étais caché. Je ne vois personne.

La voie est libre.

Je m’engage sur le chemin de la descente, vers la vieille ville. Les rues sont toujours calmes, les soldats n’ont pas déclenché d’alerte, ils n’ont pas bouclé le quartier.

Peut-être ne nous ont-ils même pas vus ni entendus et qu’ils ne nous ont jamais donné la chasse. Le sifflement que j’ai entendu ne nous était peut-être pas destiné. Je soupire. Peut-être que notre imagination, exacerbée par la peur, nous a simplement joué un mauvais tour…

Je passe par des chemins détournés pour éviter de repasser par celui que j’avais emprunté pour monter au vieux château, plus tôt dans la soirée.

Je marche depuis une bonne dizaine de minutes lorsque j’arrive enfin devant ma porte, à la sortie de la vieille ville, juste au-dessus de l’église Saint-Louis de Hyères. Trente-trois rue Saint-François.

Le bâtiment de commandement, Chateaubriand, réquisitionné par les Italiens se trouve à environ cinq cents mètres, à vol d’oiseau.

J’espère qu’il n’y aura pas de fouille des appartements alentours pendant les jours à venir, le temps pour moi de me débarrasser des chaussures et des couvertures que je viens de voler.

Je ne veux pas attirer d’ennuis à ma fiancée Pierrette et à sa famille, chez laquelle je suis logé.

Le roman existe en version papier... et au format Kindle.

Format du livre : 13x20cm Nombre de pages : 330 ISBN : 2-84750-239-4 EAN : 9782847502398

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